Laissez-moi seul …

26 mars 2014

Laissez-moi seul …

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-« Qui a fait ça !!! »

-« C’est pas moi Madame ! »

-« Tu mens, tu mens Stéphanie et Pierre ont dit que c’est toi ! »

-« Dans ma tête, en mon moi profond, « Et wa Mchi T’Khraa 7ta Ntina ! » (Va à la merde toi aussi!). »

J’ai 12 ans, « sur dopé » par cette énergie juvénile à profusion qu’il m’est impossible d’évacuer complètement tant elle foisonne. Jusqu’au jour, ou elle finit par exploser dans mon slip !

Ça y est je suis homme !

Depuis cette extraordinaire éruption, je savoure la solitude, je me délecte de l’isolement bien à l’abri du regard de tous, à jouer avec mon meilleur ami du moment.

Je commence à mesurer La mission qui nous incombe sur cette terre et me surprends à regarder mes voisines avec la tendresse du « male » en devenir.

C’est dans cette période merveilleuse sur le plan émotionnel que mon réel premier rendez-vous avec la connerie humaine a eu lieu.

On est en classe, en 1ère secondaire tout excité de quitter la cours des petits ou nous étions Grands et de rejoindre celle des grands ou l’on se sent moins petit.

Le matin, j’imbibais mes vêtements avec l’after Shave de mon père, qui s’en rendait bien compte et qui faisait exprès d’en parler à ma mère en ma présence.

Mais ma mère, c’est mon bouclier humain, mon « Ban Ki-Moon » à moi. Dès que mon père voulait me donner la raclée, qui était souvent bien mérité, elle s’interposait avec grâce et subtilité comme une résolution onusienne, que mon père, lui au moins, mettait un point d’honneur à respecter.

C’était d’ailleurs, dans ces rares moments que l’on pouvait apercevoir un geste de tendresse entre-eux. Une main sur le front de mon père ou sur son épaule :

« Et wa safi fhem rasso … Fik Jou3… ? » (Calme toi, il a compris … As-tu faim ?)

Et ça marchait toujours, doublé du fait que j’étais le dernier de la famille, chouchou de mes sœurs qui me couvaient anormalement.

Je dis ça car elles en avaient chié avec mes deux grands-frères et j’aurai attendu logiquement de leur part, une attitude plus revancharde sur la junte masculine, à mon égard, que du contraire !

Mes frères avec moi, c’était selon l’humeur. Il y avait une faible différence d’âge entre- eux et ils étaient inséparables et redoutables.

Il ’y a pire qu’un homme qui n’a pas peur de mourir, c’est 2 frères qui n’ont plus peur de mourir.

Enroules, bagarres, prison. Ils ont marqué au fer le quartier avec notre nom de famille.

Trop instables pour tomber dans le grands banditisme, et trop humain pour devenir criminel.

Ils excellaient dans « La petite frapperie ».

Ils voulaient faire de moi un homme avant l’âge mais ça c’est une autre histoire !

Chaque matin donc, je partais toujours plus tôt de chez moi pour l’école et au coin de la rue, je rejoignais Manu (Manuel) «l’ Espagnolito » que je connaissais depuis les bacs à sable et avec lequel nos 2 familles s’étaient tissés de liens profonds.

Ma mère et la sienne bossaient dans la même société de nettoyage, son père et le mien prenaient souvent le thé au café « Andalous » du quartier, une sorte de café marocain à l’ambiance andalouse dans lequel on pouvait si l’on penchait l’oreille, savourer le parler typiquement « Chamali » (du nord du Maroc) emprunt de darija, de berbère et d’espagnol.

Et ses frères se défonçaient la gueule avec les miens, dans la cour intérieure à l’entrée de la casa des Suarez.

La famille quoi …

A cinq (mes deux frères et les 3 grands frères Suarez),ils avaient déjà extorqué tous les dealers du croissant pauvre à Bruxelles.

(Le croissant pauvre est cette appellation donnée aux communes bruxelloises qui forment un croissant sur la carte de Bruxelles : Ces communes sont : Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Schaerbeek, Saint-Josse Ten-noode, Anderlecht).

Marrant comme appellation … Non ?

Ces communes abritent les quartiers populaires et je vous le donne en 1000, nous vivions dans l’une d’elles.

L’histoire de l’immigration espagnole bruxelloise à croisé l’histoire l’immigration marocaine. Des liens logiques de par le passé colonial de l’Espagne au Maroc d’abord, puis de par son implantation géographique dans la capitale belge. Croisé, oui mais dont l’évolution prendra un parcours différent du nôtre.

Les andalous, c’était un peu des marocains d’Europe, les habitants du nord marocain des espagnols d’Afrique …

Ils étaient forts présents et actifs dans mon quartier et tenaient un centre culturel, qui servait aussi par la même occasion de façade pour écouler la came.

Organisés en véritables corporations de corps de métiers (Plomberie, Chauffagerie, électricité …) et majoritairement imprégnés par cette conscience politique des « ROJO », les rouges, les communistes quoi.

Le pays sortait du régime fasciste emmené par « le Caudillo de España por la Gracia de Dios ! » (Le guide de l’Espagne par la grâce de Dieu, lisez le Générale Franco) et l’Espagne commençait à parler, à lever la tête, commençait à vivre …

Revenons à mon meilleur ami du moment, avec qui je passais des heures et des heures planqué avec un magazine de lingerie ! Il me fallait si peu pour être heureux.

Des moments d’évasion idyllique accompagnés de petites morts qui durent le temps d’un couple inspiration/expiration.

Les femmes m’obsédaient. Ce que mon ainé d’une dizaine d’année, Saïd, a très vite compris et interprétait justement mes disparations intermittentes.

« Et wa Khalé Zenéta t’Rte7 Chtito … A l’3afrit ! Rak Mbl’i Fi l’Pakha Awla ? »

(Laisse ta queue se reposer un peu petit 3afrit, t’es obsédé par la branlette ou quoi ! (3afrit intraduisible 🙂 ).

Il me disait, que pour ce qui était des femmes :

« Ne t’inquiète pas elles baisent toutes et au plus elles te diront qu’elles ne couchent pas au plus tu peux te dire c’est une « 3afrita! » ».

Moi, je ne pouvais me référer qu’ à ce qu’il disait, on a tous chercher après son coach sexuel à cet âge-là , le mien c’est Saïd et c’était mon grand-frère …

-« Qui a fait ça !!! »

-« C’est pas moi Madame ! »

-« Tu mens, tu mens Stéphanie et Pierre ont dit que c’est toi ! »

-« Dans ma tête, en mon moi profond, « Et wa Mchi T’Khraa 7ta Ntina ! » (Va à la merde toi aussi!). »

Un vol de plumier en classe et ça y est, les têtes de turc c’étaient moi ou Jamel ou Bilal.

Lorsqu’on est gamin on ne comprend pas vraiment le racisme, mais on sent que ce qui est en train de se passer est anormal, on se sent diminué, vulnérable, impuissant et ça vous marque à vie !!!

« C’est pas moi, Madame je vous ai dit que je n’étais même pas là »

« Toute la classe sera privée de récréation tant que parmi ces 3 coupables il n’y en a pas un qui veuille bien se dénoncer ».

Personne ne bouge et je savais que c’était ni moi ni Bilal ni Hicham.

-« c’est pas nous, Madame !!! »

Mais quand la classe se transforme en espace de non Droit ou 20 élèves et une psychorigide qui détient l’unique vérité vous fixent, vous êtes seuls même à 3 et prêts à vous dénoncer malgré votre innocence.

« C’est moi Madame ! »

Manuel s’avança, le beau plumier en main et le déposa sur le bureau.

« Es-tu sur que personne ne t’a obligé à faire ça Manuel »

« Non, Madame »

« Mais pourquoi l’as-tu fait alors ? »

« Je ne sais pas »

Manu, nous regarda l’air désolé avec ce regard de compassion du fils de l’immigré qui sait …

Sur le chemin du retour, on parla peu mais je retiens cette phrase :

« Tu sais, si ce n’était pas vous qui aviez été accusés, jamais je me serai donné, Ombré ! »

Mon pote Manu !

Je le regardais rentrer chez lui, et priait pour que la raclée du père Suarez soit courte et pas trop dure tout en sachant que sa mère aussi était son « Ban Ki-Moon » !

Pressé de rentrer chez moi, pour un interlude en solitaire avec mon phallus.

J’arrive dans ma rue, ma mère à la fenêtre m’attendait, elle me jeta une chaussette avec une pièce de 10 Fb (Franc Belge).

« Jib l’Coumerra ou Fel Fel 7mar » (Apporte une baguette et du poivron rouge)

Ceci ne fera que retarder mon passe-temps favori du moment.

Boulangerie et vite l’épicerie, en rentrant à la maison, mon père devant la télé :

-« Chaa3b Al Aziz » ( Peuple bien aimé).

-« Tfou 3lik a L’9ard, Allah y 3tek L’9té3a » (Je te crache dessus espèce de singe, que Dieu te donne le silence éternel).

Ma mère dans la cuisine avec mes sœurs préparent à manger.

Mes frères dans leurs chambres et leur ambiance … « Stupéfiante ».

Tout va bien, tout va pour le mieux, je m’en vais prendre une longue, une très longue douche car me voici « mon ami » !

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“Moulana Nss3aw Redda9, Wa3la el ‘ Bab Wa9ifine Ya A R7am Ra7imine “ (Chant funèbre marocain)

Mais ça, ça sera pour une autre fois.

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