Une colère « maladroitement gentille »

19 août 2014

Une colère « maladroitement gentille »

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Une colère gentille mal exploitée est souvent le résultat d’une incapacité chronique de dissocier la passion d’avec la raison.

Et c’est pareil aujourd’hui, peut-être encore plus !

Il y a des mots et des mots, ceux  qui donnent de l’assurance et ceux qui se livrent dans un brutal silence. Ces derniers, aussi sournois qu’un arracheur de dents, perturbent au départ, mais très vite deviennent les incontournables d’un simulacre de bienveillance servant à notre bonne conscience la preuve de son indispensable raison d’être.

 

A chaque jour suffit sa peine disait l’autre, j’ai comme le sentiment que chaque jour connaît la même peine.

C’est lundi et un lundi ça restera toujours comme un lundi. Je me suis levé de bonne heure, après une douche, un yaourt et un croissant, je me suis rendu au boulot.

Dans l’ascenseur ça parle de Gaza, à la cafèt’ d’Israël et dans les couloirs de Palestine et dans ma tête ça ne parle plus … Pour une fois. C’est étrangement calme, un calme à peine espéré, qui est probablement le résultat d’un mécanisme de défense face au vacarme de dehors.

Comme si mon âme et mon corps endossaient chacun à leur tour des contraintes qu’ils tentent de soulager comme ils peuvent.

Je file aux toilettes et sur le chemin, je la croise. Elle, c’est une collègue que je regarde depuis des mois, qui le sait peut-être mais qui m’ignore, du moins c’est mon interprétation.

Une belle femme qui a tout pour plaire, fougueuse aux yeux de braise, émancipée mais qui à 33 ans vit toujours chez ses parents car elle ne devra quitter le nid familial qu’ une fois la bague aux doigts. Et comme l’âge avance, elle a probablement revu ses critères d’un ou deux crans à la baisse et aujourd’hui elle me parle.

– « Tu as vu Gaza » me lança-t-elle.

-Moi : « Oui ».

-Elle : « Ils exagèrent … ! »

-Moi : « Qui ça ils ? »

-Elle : « Ils enfin … Ils ! »

-Moi : « Mais qui donc ».

Elle s’approcha de moi, son parfum est frais, j’ai toujours aimé les parfums frais et le sien l’est particulièrement.

Sa chemise est déboutonnée à la limite du « raisonnable » laissant entrevoir la dentelle de son soutien-gorge blanc qui contraste avec le bleu qui l’entoure.

A cet instant précis, et là, je m’adresse aux messieurs, plus rien à d’importance, les secondes sont des heures et mes yeux ont des capacités de figer des images dans des angles improbables, le tout avec une certaine classe évidemment.

Elle s’approcha encore plus, son haleine est fraîche et ses cheveux sentent la douche du matin.

-Elle :  en murmurant : « … Les sionistes enfin ».

-Moi : « Ah oui … C’est sûr ».

-Elle : « Ils tuent des gamins, des mères et des pères et toi tout ce que tu arrives à dire, c’est : Oui c’est sûr … ? »

– Moi : « Oui, c’est déconner ».

-Elle : « Wallah ils me foutent la rage ».

– Moi : « Je sais ».

– Elle : « C’est un génocide … On mange ensemble ce midi ? »

C’est à ce moment que je me suis remis en pleine conscience. Et cette phrase « On mange ensemble ce midi » signifie dans mon esprit que soit on va refaire toute la géopolitique du Moyen-Orient, alors qu’on n’en a pas trop les compétences, soit que cela sera les prémisses d’une très belle soirée.

-Moi : « Oui, bien sûr, on va au libanais ».

-Elle : « Oui bonne idée ».

Je me suis donc rendu aux toilettes, tiens je bande … Déjà … Curieux ça.

De retour à mon bureau, je désespérais à la vue de la lourde tâche qui m’attendait, mais à chacune de ses apparitions une bouffée d’optimisme m’envahissait me donnant énergie et pêche pour tout surmonter.

11 h 58,

Je bande toujours …

-Elle : « On y va ».

– Moi : « Let’s go ».

Sur le chemin, on parle peu et on rigole beaucoup sur des conneries utiles dans de pareils moments.

Arrivé au resto, la TV est câblée sur Al-Jazira et ça parle de Gaza dans un arabe qui me fait mal au crâne tellement il m’est incompréhensible.

– Elle : « Mais que fait l’ONU ? »

– Moi : « Ils font d’excellentes grillades ici , on se fait le menu pour deux ! »

– Elle : « Que fait l’Europe ? »

-Moi : « Ça te dérange pas si je prends du vin ?»

– Elle : « Tu sais les juifs ne l’emporteront pas au paradis, et oui un menu pour deux ».

– Elle : « Ils se tirent une balle dans le pied et leur déclin est proche ».

– Elle : « Tu penses quoi de tout ça toi ? »

Ce que j’aurais dû dire à cet instant c’est que je suis fatigué de parler de Gaza. D’ailleurs, je n’en vois  pas beaucoup  qui auraient à la fois la hauteur et le recul nécessaire pour nous livrer une analyse complètement dépassionnée du sujet.

J’aurai dû dire aussi que mes oreilles ont attrapé des paupières tant les conneries avancées par les deux camps sont imprégnées d’une haine non avouée. Je lis trop cette haine des colons d’esprits qui occupent illégalement l’espace de mon cerveau !

Ce que j’aurais voulu dire aussi, c’est qu’elle est belle et encore plus lorsqu’elle est passionnée et que je voudrais juste que cette gentille colère maladroitement exploitée nous serve pour nos futures prises de tête, car je la vois déjà près de moi jusqu’à mon dernier souffle.

Ce que j’aurais dû lui dire, c’est que tous les juifs ne sont pas des légionnaires de Tsahal et que derrière l’antisémitisme se cachent parfois des frustrations qui trouvent leurs origines ailleurs, bien ailleurs.

Ce que j’aurais voulu lui dire c’est juste parle-moi de toi, ta vie, tes ambitions tes chagrins, tes espoirs.

Ce que j’aurais dû lui dire c’est que je ne comprends pas que l’Occident chrétien découvre ses coreligionnaires d’Orient. Car oui , l’ignominie se déroule sous nos yeux actuellement à Gaza et  l’impunité de la communauté internationale est insoutenable mais qu’au même moment les chrétiens d’Orient subissent une inquisition au nom de l’islam dans un silence monstrueux …

Mais je n’ai rien dit de tout ça. Je lui ai juste dit : « Oui, tu as raison ».

Je sentais une volonté de me jauger de sa part.

Savoir si nous étions du même moule avec les mêmes instincts, les mêmes opinions, les mêmes souffrances … Les mêmes ennemis.

Moi perso, Gaza, Israël, les juifs et le sionisme j’en sais trop rien, mais je suis convaincu qu’en 2014 ils sont tous condamnés à vivre ensemble.

Que tous les « ismes » devront revoir leurs ambitions à la baisse, car ils sont trop souvent à l’initiative d’horreurs inhumaines.

Je refuse de beugler les mêmes gammes, tout en étant convaincu de me distinguer des autres. J’ai besoin de hauteur, de me désaxer pour mieux appréhender, de solliciter mon pathos par moments et de l’isoler par d’autres

Mais l’unique certitude que j’ai c’est que la connerie humaine perdure.

Je cautionnerai toujours la résistance du peuple palestinien au même titre que la résistance de tous les peuples opprimés sur cette terre.

Il est 12 h30 , le garçon nous apporte notre plat je sens sa cheville frôle délicatement mon genou sous la table, c’est agréable.

Elle sourit, moi aussi.

Je découvre à cet instant une autre personne, plus en confiance.

Je découvre aussi qu’il faut du temps et que le temps est un luxe de nos jours.

Même si je me sens aussi perdu qu’elle. Comme deux mouettes qui se baladeraient en plein cœur de Bruxelles.

On a beaucoup de choses à se dire, il faut juste du temps.

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Zmagri

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Commentaires

Agbadje Adébayo B. Charles
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Bravo. Bel exercice de love story. Bien des choses à elle et bonne chance à vous et paix à Gaza.

madrane
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J'espère que ce n'est pas votre dernier billet. Votre style tout particulier est un régal à lire et fait réfléchir...Il apaise, il fait rire, il met en émoi, il titille. En bref, il ne laisse pas indifférent. C'est si simple de vous aimer en écrivain. Non vraiment ce ne sra pas votre dernière confession : il ne fallait pas commencer, on vous attend !

zmagri
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Merci pour ce joli message d'encouragement ;)