« Le grand Klezmer » (2ème partie)

7 avril 2014

« Le grand Klezmer » (2ème partie)

jud isl

-Amale : « Papa, je te présente Cohen Rosenberg ».

Pas la moindre hésitation à avoir, ma réaction sera scrutée et analysée dans les moindres détails pour le restant de mes jours. Mais comment alors, comment réagir face à l’annonce que ma fille fréquente un juif.

-Amale : « Et nous allons nous fiancer ».

Wow, wow, wow doucement, je suis encore calé sur le Cohen Rosenberg qu’elle me parle déjà de fiançailles et puis de mariage et puis quoi ! Mes petits-enfants porteront le nom de Rosenberg. Allah y Hdina !!( Que dieu nous préserve !)

Ils vont tous me juger autour de cette table et au passage le Rosenberg a volé la vedette à mon beau mur fraichement peint …

Vite, il faut que je dise quelque chose, ma fille est là devant moi et attend un signal, un geste, un truc quoi.

Que vais-je pouvoir dire, identité tu es où merde aide-moi là !

-identité : « Je vais t’aider, écoute moi bien : Tire ton plan ! ».

-Moi : « Et wa tozzzzzzzz 3lik !».

Je dois dire ou faire quelque chose. Je ne veux même pas regarder ma femme qui vient de se lever en disant :

« Soyez le bienvenu Cohen, tenez installez-vous ».

Voilà, ça c’est neutre :

-Moi : « Oui, soyez le bienvenu Monsieur comment vous dites … ? ».

-Cohen : « Cohen Monsieur… Amale m’a beaucoup parlé de vous ».

-Moi : « Si c’est pas mignon ça… ».

– Moi à Yuba : « Dis bonjour à notre invité, il s’appelle Cohen tu as entendu C O H E N ! ».

-Yuba : « Oui, Ba j’avais compris … »

J’étais piégé, chez moi et piégé !

Et pour je ne sais quelle raison, la première pensée venue se figer sur mon lobe frontale était PALESTINE ! Je me sentais palestinien.

Pourquoi j’en sais trop rien… Faut que je bouge d’ici, faut que je sorte de cette table.

Je me suis rendu à la cuisine, j’ai chaud ou plutôt non je dois marcher. Pourquoi elle me fait ça … ? Pourquoi ma fille chérie, mon troisième œil à moi pourquoi … ?

Comme rattrapé par un élan de solidarité panarabe, incohérent et vide de sens, moi le fils d’un berbère du Rif, je m’interroge sur le quand dira-t-on, celui qui vous maintient dans une léthargie intellectuelle, abandonnant toute individualité au profit des idées dominantes. Un vrai mouton de Panurge fidèle à son auberge !!

A cet instant présent, je ne suis ni marocain, ni belge mais je me sens palestinien, pierre à la main face à un char de Tsahal intimement convaincu que ce caillou perforera le blindage du thank et éclatera la tête de son pilote. Après, quoi j’aurai sûrement les couilles de retourner à table et de le foutre à la porte le Rosenberg.

Putain, en plus il cumule : Cohen et Rosenberg !! Elle aurait au moins pu choisir un sépharade, ça passe mieux.

Je vais faire quoi, je dois faire quoi … ?

-Identité : « Ah,AH, AH, ».

-Moi : « Mais tu es là ? Tu te marres bien j’espère ».

-I : « Malek ? ». (Qu’est-ce que t’as ?)

-Moi : « Mali ?? (Ce que j’ai)Y a Benjamin Nethanyahu chez moi à ma table ou t’ 9oli Mali ?? Rak Mreda fi rassek ntina ? ». (Et tu me demande ce que j’ai, tu es malade dans ta tête toi !)

-I : « Calme toi chuuuttt, Calme toi ».

-M : « je sais ce que je vais faire, où est-il ? ».

-I « Quoi donc »

-M : « Le cd de Marcel Khalifa tiens, je vais lui envoyer des décibels qui vont lui faire exploser chaque synapses ».

-I : « calme toi, et retourne à table ».

-Ma femme : « Tu as besoin d’aide… ? ».

-M : « Non, j’arrive, tout de suite ».

-Cohen : « Besoin d’aide Monsieur Bouziane »

Merde le voilà, il est devant moi le regard sur et la démarche respectueuse. C’est toujours comme ça au début.

-Moi : « Merci, c’est gentil, je vous rejoins de suite ».

-Cohen : « Très bien, on vous attend ».

Il retourna dans le jardin.

Je me suis approché de la baie vitrée, en prenant soin de ne pas me faire repérer, je les vois tous autour de cette table, face à mon beau mur fraichement repeint …

Acculé par la pression du moment, je me révèle encore à moi : fuyard et peureux …Mais pas aujourd’hui, l’événement à trop d’importance pour fuir !

Une sorte de sagesse intérieure, une voix qui ne m’est pas inconnue, une voix clairvoyante me dit :

« Mais au fait pourquoi je me fais ça ??? »

Oui, pourquoi, je m’inflige ça, alors que pour être honnête, je m’en moque.

Pourquoi, avons-nous ce mépris du juif… ?

Pourquoi, pourquoi, pourquoi …

Pourquoi ce mépris m’aveugle et m’interdit ce moment que je devrai savourer en famille.

Je dois pisser …

En me rendant aux toilettes, j’ouvris ma brayette et comme touché par la Grâce, mon sexe me rappela que nous avions beaucoup plus à partager avec le judaïsme que je ne pouvais l’imaginer.

« Regardez vos bites mes chers et regardez vous ensuite ! »

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Le bruit de l’urine sur la paroi du wc me détend, je fais des cercles en pissant , comme lorsque j’étais gosse et pour faire chier ma femme je laisse la lunette rabaissée …

Je finis par m’assoir sur le pot et me plonge dans une réflexion, de celle qui fige l’espace temps. Je suis en transe, en » hyperaccuité « . Des phrases arrivent en masse près du goulot de mon cerveau, ça se bouscule aux portes :

« Convaincu que l’antisémitisme est un concept occidental, le sens étymologique du terme mériterait qu’on s’y penche sérieusement.

Le judaïsme est inhérent à notre culture … Alors c’est quand que ça a merdé ?

La convention Béclard (1863) qui accorda un statut privilégié aux juifs du Maroc.

A cela vous rajoutez, la période coloniale de la France au Maghreb et le fameux Décret Crémieux (Algérie) qui octroya la nationalité française aux juifs d’Algérie.

Et aussi et plus frais encore dans nos esprits : Un certain 23 mai 1967, jour à partir duquel l’armée israélienne mit moins de temps que Dieu eu besoin pour créer le monde pour anéantir la coalition des armées arabes.

La fracture est surement liée à un de ces facteurs, mais lequel ??

Israël, sionisme et Judaïsme sont-ils réellement un bloc homogène …?

Se poser la question, fait-il de nous des antisémites ?

A qui profite ce flou gaussien ?

C’est alors que je me suis rappelé ce nom d’un célèbre dissident juif marocain antisioniste originaire de Tanger, Abraham Serfaty. Je me suis rappelé aussi des débats auxquelles j’avais pu assister à l’UPJB (L’Union Progressiste de Juifs de Belgique) dans lesquels des Belges de confession juive remettaient en cause la politique d’expansion de l’Etat isréalien allant même jusqu’à manifester auprès de la communauté musulmane de Belgique lors de la guerre qui opposa Le Hezbollah à Israël.

Qui est responsable de notre « antisémitisme » ?

Qui est responsable de ce schisme entre Musulmans et Juifs au Maroc.

Le sionisme ? L’intégrisme religieux ? L’Etat marocain ? L’agence juive ? …

Comment sommes-nous passés de voisins à ennemis intimes ?

Je me rappelle de cette vieille cassette audio de Cheikh MouiZo (chanteur juif marocain) que mon père écoutait lorsque nous faisions de longs trajets.

Je me rappelle que ce judaïsme est porteur d’une des plus grandes souffrances que connut l’humanité ces derniers siècles.

Enfin je me rappelle de Magalie, cette charmante Magalie avec qui je suis sorti quand j’étais jeune … Mais ça je le garde pour moi !

Ma fille fréquente un juif et alors, je vais me rendre à cette table et faire sa connaissance et me défaire enfin de ce boulet communautaire avec lequel je me suis toujours senti en conflit ! »

J’ai la marque de la lunette des wc sur l’arrière des cuisses, je tire la chasse et bénis toutes les forces de l’univers, d’avoir inventés ce lieu magique : LES TOILETTES !

-Moi : « Yuba , Yuba , aji a Wouldi, ntina wouldi …”( Yuba , viens mon fils, toi tu es mon fils ).

-Yuba : « Oui, Ba ».

On se regarda dans les yeux, il s’approcha de moi lentement, très lentement et arriva en face de moi.

-Yuba : « Ba, … Ba , elle est heureuse … Ne gâche pas tout ! ».

Je le pris par les épaules, j’ai regardé mon fils droit dans les yeux et je lui ai dit.

-M : « Je sais ».

Tout s’apaisa vraiment, dans mon esprit de con aux préjugés infondés sur tout et sur rien.

J’avais comme besoin de l’aval de mon alter égo masculin : mon fils, c’est amour de bonhomme à la lucidité candide.

Et c’est aussi à ce moment précis que j’ai jeté mon regard sur la photo de mon père, celle qui est accrochée sur la cheminée. Je lui ai dis au fond de moi-même, avec cette assurance qui a tant fait défaut dans ma vie :

-Moi « Ya l’Walid, je serai un bon beau-père ».

-Mon père : « 3arraf a wouldi » ( Je le sais mon fils)

Nous retournâmes nous assoir dans le jardin.

Cohen : « C’est du beau boulot le mur »

-Moi : « Oui,merci ! C’est de la bonne peinture la marque « Levis » »

Et toute la table se mit à rire. Et pour une raison que je n’ose m’avouer, ma fille Amale est venue me prendre dans ses bras et d’une voix tremblante me dit dans le creux de l’oreille

-Amale : « Je t’aime Ba, je t’aime si fort »

Et, elle se mit à pleurer … De bonheur je suppose.

Comme je suis un émotif qui s’ignore, je l’ai serré très fort puis l’ai mise dans les bras de ma femme, chacune de ses larmes me blessèrent profondément et me renvoyaient l’image de ce que je suis …

Ça, il n’y a que votre moitié ou vos enfants qui peuvent vous le faire sentir.

L’ambiance est à présent bénie par une convivialité nouvelle, celle de notre nouvelle tribu.

-Yuba : « Ba, j’ai comme l’impression qu’aujourd’hui tu as marqué beaucoup de points… J’ai aussi une grande nouvelle à t’annoncer».

-M : « Hop, je te coupe fiston, laisse-moi savourer chaque nouvelle pleinement ».

Dans ma tête, je me suis dit, mais qu’est-ce qu’il va m’annoncer celui-là qu’il est gay et que son petit ami est algérien :).

Dans le fond peu m’importe, j’ai appris aujourd’hui que seul le bonheur de ma progéniture dépassait de loin tous ces stigmates d’un pathos incrusté dans la moelle. Et me suis rappelé ces recommandations de mon regretté père.

-Mon père « Tba3 L’9alb Inssane 7ssen ma T’ba3 din awla l’assal » «(Suivre le cœur des gens est préférable que suivre leurs religions ou leurs origines).

Mon père cet artiste !

-Cohen : « 3andi noukta ». (J’ai une blague).

Merde, il parle Darija (dialecte marocain) en plus.

-Cohen : « Je vous rassure je ne parle pas l’arabe , seulement 2 ou 3 phrases qu’Amale s’est acharnée à m’apprendre ».

-Moi : « on est tous impatient de la connaître ».

C’est à ce moment-là qu’on sonna à la porte. C’est ma belle-sœur Hafida.

Avant de poursuivre, vous devez savoir qu’il y a certaines personnes pour ne pas dire la plupart, de ma belle-famille que je ne peux sentir. Ceux qui savent tout et qui ont toujours un avis sur un tas de sujets, sans avoir pris la peine ne serait-ce que de se renseigner. Ceux qui sont porteurs de l’indice de » labélisation » du Halal et qui se sont autoproclamés prêcheurs, sauveurs d’âmes.

C’est ce genre de personne qui m’ont poussé, ma femme et moi à nous installer en dehors de Bruxelles.

Et comme des vieux instincts, ça ne se perd pas, je me retrouve à nouveau poussé par cette hypocrisie flagrante mais accommodante : Je me suis levé pour l’accueillir.

Attention, la main ou la bise, est-elle avec son mari ou est-elle seule ?

Yuba prit la bouteille de vin et s’apprêta à la ranger au sol, quand je lui lança

-Moi : « Wow , Ach kat 3mal, S7ablek Fi l’maghrib f Ch7ar Ramadan awla ? Khali di kchi fo9 Tabla !” ( Qu’est ce qui te prend, tu t’es cru au Maroc en plein mois de Ramadan, laisse cette bouteille sur la table !)

Curieusement, ma femme qui l’aurait fait ne broncha pas, faut dire qu’avec ce qui venait de se passer elle ne pouvait pas piper un mot.

Hafida : « Salamou3aleikoum »

-Moi : « Ahlan, nhar kbir hada , Guelssi , guelssi … ». (C’est un grand jour , assied-toi)

-Amale : « Salam Khalto » (Bonjour ma tante)

-Yuba : « ça va Khalto » (ça va ma tante)

Et là, Amale me regarda …Comme pour me lancer le test.

-Moi : « Hafida , je te présente Cohen le futur fiancé d’Amale »

-Hafida : « Aaaa, et wa mabrouk » ( Aaaa , et bien félicitations)

Un » mabrouk » qui sent le » mabrouk » du protocole, celui qu’on lance à son pire ennemi le jour de l’Aïd.

Elle s’installa, et se mit en mode observation. Ce qu’elle ignorait c’est que j’étais aussi en mode observation et que la moindre allusion bancale sur Cohen allait me faire péter un câble.

Et comme le rosé sous le soleil ça tape sur la « cabessa » (tête en espagnol), fallait surtout pas me faire basculer de mode. Qu’elle me laisse en mode cool sinon, walla ça va chier !!

Je me suis retrouver dans une situation insolite, je venais de me découvrir tolérant et vraiment tolérant et comme pour tester cette nouvelle compétence le Tout Puissant m’envoyait une épreuve. Celle de devoir assumer face à « mes semblables » que j’assume pleinement ma position adoptée à l’instant.

La suite, la prochaine fois.

Zmagri

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