Partout où brille le soleil d’Allah (2ème partie et fin).

26 mars 2014

Partout où brille le soleil d’Allah (2ème partie et fin).

ob_c44a7c_pid-870354-61650a64-415e-11e3-89b1-6f224fddecf1-wViolente douleur stomacale liée au stress, j’ai passé les 3 heures de vol recroquevillé sur moi-même à me replonger dans des souvenirs, ceux que j’ai partagés avec mon frère.

Et comme nous volions vers le Maroc, je me remémorais toutes les anecdotes cocasses de voyages.

Le bled, il en avait été plus au moins dégouté depuis l’histoire du fameux mariage arrangé avec ma cousine Salima.

Une combine tractée entres les parents, qui d’une part voulaient sortir la fille de la misère offrant un nouveau pont entre là-bas et ici et d’autre part stabiliser Saïd qui découvrait les débuts de l’excitation de son métabolisme cérébral.

Un mariage qui se solda par la plus grande crise que notre famille connut.

L’avion est plein, il fait chaud je regarde à travers le hublot et je vois Saïd …

« J’ai fait le con frangin, … Je vous aime »

Reviens …

Ma mère et mon père sont assis devant moi.

Moi je suis assis à côté de mon grand-frère Mohamed.

« Mohamed … ? »

« Hum … »

« Non, rien »

« Dis-moi »

« Rien, Mohamed, je vais dormir »

« Ok, mets ta tête sur mes épaules et dors, on a une longue journée »

Ce que je voulais lui dire, c’est qu’il arrête la drogue ! Je voulais lui dire que ce n’est pas bien, je voulais le prendre dans mes bras et lui dire : « Tu vois ce que ça fait ! »

Mais rien du tout, je me suis enfoncé dans mon siège et je l’ai regardé.

Mohamed à mon père :

« Ba wach 3ami Abslam ghadi 7dar l’ Gnezza ?» (Papa, est ce que l’oncle Abslam sera présent aux funérailles ?)

Mon oncle Abslam était « Cheikh », l’équivalent d’un genre bourgmestre, et comme tous les représentants du pouvoir au Maroc, c’était un voleur et mon père le haïssait.

Mon père :

« Sma3ni mezziane, ma Khsna sda3 , ndefno Khak bi salam ou bla Sda3 , Wach fhemti awla la ??? »

(Ecoute, je ne veux pas de boucan, nous enterrons ton frère dans la paix et sans boucan. M’as-tu compris ??)

« … »

« Wach fhemtini !!!!! » (Est-ce que tu m’as bien compris !!!!!)

« Wakha Ba , bla ma t 3asseb » (Oui papa, ne t’énerve pas )

L’oncle Abslam, ce bâtard a juste dépouillé mon père, avec l’aval des autorités.

La parcelle de la terre de mon père avait déjà été vendue 2 fois et par une entourloupe makhzénienne, notre maison , cet « illustre représentant » l’a tout simplement volée, en tronquant les papiers de manière éhontée.

Mohamed :

« Fils de pute … le fils de pute ! »

Ma sœur Kenza :

« Ewa safi Mohamed »

« Chouff » me parle pas toi, si je vois sa gueule ou ses gosses … Je l’encule ce fils de pute ou « n’lssa9 Din Dyemeh fil 7ayt » !!! ( et je vais coller sa mère contre un mur !)

Mohamed est très très nerveux

Ça y est, atterrissage …

3 h plus tard, la famille s’est réunie dans la maison de ma grand-mère à Melloussa près de Tétouan.

Il y avait la famille sincère, la famille hypocrite et la famille « Viens là que je te gratte tout ce que je peux ».

Il y avait des cousins, des cousines, des amis d’amis. Des visages jusqu’ici encore jamais vus.

Le corps est arrivé à la maison.

On s’apprête à lui faire la toilette mortuaire avec mon père, mon frère et l’oncle Mohamed.

L’oncle Mohamed représentait à mes yeux le Maroc dans toute sa marocanité.

Un homme juste, dignement pieux qui avait une noble qualité, celle de vous sortir des phrases qui vous travaillent l’esprit des années durant.

Un homme qui marchait la tête haute, le regard vif du sage, qui du haut de son âge était d’une humilité déroutante.

Il fumait le Sebssi (une sorte de pipe à kif) et adorait la nature. Un marocain comme seul le Maroc pouvait fabriquer.

Il appartenait à la confrérie des Aissawa et m’emmenait, alors gamin, dans leur soirée de transe infatiguable au son de la Raïta du Tbal et du Bendir (Trompettes et tambours typiques du Maghreb).

Mon père l’adorait et moi aussi.

La toilette mortuaire est un moment que j’ai appréhendé mais qu’il n’aurait fallu que je ne rate à aucun prix.

Une tradition belle, d’union, de fraternité et d’égalité.

Nous étions 4, à lui donner de l’amour par ce geste profond et si authentique.

C’était beau, fort et intense. Et dans son linceul blanc, Saïd est beau.

La maison est encerclée, le cortège funèbre va bientôt démarrer.

Et c’est à ce moment précis que je me suis fait cette réflexion :

« Mais pourquoi va-t-on l’enterrer ici … ? »

Pourquoi, putain de merde on va l’enterrer ici ! »

Autour de moi je ne connais personne ou si peu.

Où sont les meilleurs potes de Saïd, il est ou Diégo « portugais » qui jouait de la basse dans un groupe près de place Annessens ? Ses potes du mini-foot, sa copine Nathalie, qu’on a laissée en pleur à Bruxelles sans réponses, sans explications.

Où sont-ils bordel ?

Vous êtes qui vous ?? Pourquoi vous chialez, vous ne le connaissiez même pas.

J’ai besoin de me retrouver, Mohamed tu es où ??

Il porte le cercueil avec des cousins, il pleure de rage et de colère.

« Kenza , Nabila ? »

Elles sont au fond du cortège funèbre car, selon la « tradition », les femmes ne peuvent pas entrer dans le cimetière lors de la mise en terre !

« C’est quoi ce bordel ! »

Et là, j’ai pété un plomb, je ne contrôlais plus rien.

« Saïd !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ».

« Putain Saïd !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ».

« Lâche- moi toi, me touche pas ou je t’éclate ! ».

Je me suis rué vers le cercueil comme pour le sentir une dernière fois, je l’ai serré si fort en hurlant son nom.

Des personnes ont tenté de me faire lâcher prise.

Certains demandaient à mon grand-frère de me calmer, il ne les écoutait pas, il m’a laissé vivre à ma manière, il m’a laissé lui dire adieu et menaçait quiconque qui tenterait de me faire écarter de mon frère.

Je lâche le cercueil, je les laisse, en sortant du cimetière je vois l’attroupement de femmes en marge de la cérémonie funèbre.

Je me retourne et redescends vers la maison.

Je vomis, je rentre, monte sur le toit, on entend encore d’ici les récitations coraniques funèbres.

Je me couche sur le sol encore chaud.

Et je me laisse aller avec cette question qui commence à m’obséder. Pourquoi l’a-t-on enterré ici !

C’est à mes parents qu’il aurait fallu poser cette question. Je ne voulais pas le faire, je n’osais pas le faire.

Mes sœurs en parlèrent avec ma mère et comme d’habitude, ses réponses furent :

« Il faut le faire, c’est comme ça, c’est Hallal, c’est un sol pur pour les musulmans, c’est le sol de nos ancêtres … ».

Par contre, mon père aurait pu accepter qu’il soit enterré en Belgique. Il s’était armé d’un laïus qui clouait le bec à tous.

Du genre : « Partout où brille le soleil d’Allah, tu reposeras en paix ».

Balaise mon père, « cet artiste qui s’ignore » !

De retour sur ce toit, il fait très chaud et le vent souffle, comme pour soulager, il souffle comme pour effacer.

« Je veux faire de l’économie au gaspillage et que mon passage sur terre SOIT !

J’ai envie de vie, de vie autour de moi.

J’ai envie de déshabiller nos coquilles, je veux du vrai, de » l’authentiquement » vrai.

Je veux de l’amertume utile, qui grandit celui qui la goute.

Je veux être parmi les présents.

Je veux organiser une cabale contre le défaitisme et signer un contrat sur le pessimisme.

Je refuse d’être victime et « ne mourrais pas en gibier … »

Je veux que mes ennemis m’aiment.

Je veux que la drogue m’aime comme Saïd l’a aimée. Je veux qu’elle m’aime en me préservant d’elle et qu’elle préserve ceux que j’aime… qu’elle se shoote la gueule et qu’elle crève cette pute !

Je veux du soleil dans les vêtements.

Je veux que le passé se charge de mon futur.

Je veux rentrer chez moi, et je veux ramener le corps de Saïd avec ! »

 

«- Salut, on se connait ?

– Non

-Maintenant si … »

Mais ça, ça sera pour une autre fois ! »

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