Nostalgique d’un soleil que je n’ai plus jamais connu.

26 mars 2014

Nostalgique d’un soleil que je n’ai plus jamais connu.

ob_529b06_olivier-rifElle me fait des crises à nouveau la coquine.

Le drame du déraciné c’est que l’herbe dans laquelle il pousse ne sera jamais assez riche pour lui.

Ma psy m’écoute parler, lorsque je commence je ne m’arrête plus. Entre confusion, mélange et découverte je me perds dans mon jardin, elle intervient juste pour baliser et m’avertir des redites, car oui je radote beaucoup.

Et voilà que mon identité, vous savez celle qui me fait des crises de jalousie dès que je la délaisse un peu, la revoilà pointer du nez dans ces tumultes qui paraîtront futile pour certains et essentiel pour d’autres.

-« Ramasse tes affaires et vient vivre à la maison, on doit se parler. » Lui dis-je .

C’est ce qu’elle a fait.

Depuis je partage tout avec elle, même ma brosse à dent.

Seul bémol, ses ronflements la nuit, je n’arrive pas à m’y faire… Qu’importe.

Je vous la décrit vite fait :

Elle est comme moi, la clarté en plus, elle m’assure qu’elle a déjà tout réglé dans sa vie. Bien évidemment je ne la crois pas !

Sa présence me rassure un temps, puis lorsque nous discutons de moi, car oui, nous parlons exclusivement de moi, elle déblatère des théories qui viennent réconforter, rassurer cet homme qui se fuit indéfiniment.

Ah oui, elle déteste ma psy.

-Elle : « Pourquoi tu vas la voir ».

-Moi : « C’est toi qui me l’a conseillé, dois-je te le rappeler ».

-E « Je sais, mais pourquoi ? En as-tu vraiment besoin ».

-M « Je ne sais pas, mais je me suis promis d’aller au bout du processus ».

-E « Elle est comment ? ».

-M « J’en sais rien, elle est comme elle est, une belge».

-E « Mmmmmm ».

Ce que je n’arrive toujours pas à comprendre pas avec mon identité, c’est que c’est une femme, plutôt mignonne. Elle a investi ma bulle, rien ne la dérange vraiment dedans.

« Alors, depuis la dernière fois qu’est-ce qui a changé ? » Me dit-elle.

-Moi : « Pas grand-chose, je dors je mange je boulotte … »

-Elle : « Vraiment »

-M« Oui »

Nous sommes en mars et j’aime ce mois, car il désamorce l’hiver en théorie (sauf en Belgique), les journées sont plus longues et le moindre rayon de soleil optimise votre humeur. Les oiseaux gazouillent pour de vrais et le vent du nord cède sa place à la douceur, pas encore assez franche à mon goût, mais c’est un bon début.

-E« Il parait qu’on fête les 50 de présence marocaine en Belgique »

-M« Oui, c’est plus tôt bien non ? »

-E« Mais t’as rien compris ou t’es con ».. (On a un langage plus que familier)

-M« Explique moi ».

-E« Tu trouves qu’il y a quelque chose à fêter ? Ton père est mort comme un palmier dans un jardin d’hiver, ton frère s’est shooter à se faire claquer la carotide, ta mère ne jure plus que par Al-Jazeera tes sœurs font mines d’être heureuse et ton autre frère à les nerfs à vif. Et tu trouves que c’est « la fête ! ».

-M« Ben et alors, tu crois que si on avait été au bled ça se serait mieux passé »

-E« Allo, la terre il y a quelqu’ un …La vie c’est Belgique ou Maroc ? Pourquoi tu ne rêves pas d’ailleurs ? Pourquoi tu réponds religieusement au schéma de vie qui s’offre à toi … Je t’ai connu moins discipliné ! »

-M« Mais qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

-E« Ce que je veux te dire Al Bourro (Ane en espagnol), c’est qu’il n’y a de vie épanouie que si l’épanouissement se révèle être indispensable, qu’il devienne le moteur de toutes tes entreprises qu’il ne nécessite que les efforts que tu consens lui donner ».

-M« Mais … ».

-E« Y a pas de mais !! ».

-M« Mais laisse-moi en placer une ».

-E« Non, on est pas chez ta psy là, c’est moi qui parle ».

-M« Wow,, calme très chère amie ».

-E« Que je me calme, tu n’es pas sérieux j’espère , ça fait des années que tu es trop calme et que tu attends le terreau fertile pour bouger tes fesses ».

-E« Et côté cœur, ça va ? ».

-M« Ben ça s’éclaircit ».

-E« Pfff, t’as rien pour toi franchement ».

-M« C’est que là j’ai besoin de calme, une belle et sereine période de calme ».

-E« Je vois et ça me va parfaitement ».

-M« Tu serais pas encore occupée à me faire ta crise à la con ».

-E« Non, tout ce qui m’importe c’est de te voir heureux ».

-M« Et je ne le suis pas ? Pourtant je devrai, non ? ».

-E« Ca commence ».

-E« Bon je me couche, je prends le côté de droit du lit ».

-M« Oh, non en plus de ronfler tu me piques ma place »

-E« Et oui, continue à dormir et toutes tes places seront prises par d’autres … »

-M« Bonne nuit »

-E …

-M« Tu pourrais répondre … Ca y est tu ronfles déjà… Tezzzz »

C’est alors et seulement alors, que je me suis rendu au salon et que j’ai pris l’album de famille. En le feuilletant j’ai vu un homme sur une photo mal développée et dont les taches d’oxydation sur les coins me rappellent que j’ai intérêt à la numérisée au plus vite. En l’observant avec attention je me suis vu, moi Mohamed Bouziane né le 3 mars 1930 et mort en 2004.

Qu’est -ce que c’est ce délire encore …?

« J’aurai du vous parlez mes enfants, j’ai choisi d’immigrer et personne ne pouvaient faire autrement, j’avais faim dans tous les sens du terme et je voulais que la vie me permette d’offrir à ceux que j’aime le droit de pouvoir rêver.

Je voulais vivre moi aussi, je ne peux le nier… Qu’est-ce qu’on a ri !

Alors qu’au Maroc, j’aurai vu les « autres » m’écraser comme ils le firent et le font toujours aujourd’hui. J’ai donc suivi ma bonne étoile qui ne pouvait se révéler à moi qu’une fois le détroit traversé.

J’ai immigré comme mes frères de classe, pour marcher d’un pas franc sur cette terre, d’où je viens rien n’était fait pour me retenir.

J’ai trouvé le meilleur ici, parfois le pire mais c’est tout de même pour un meilleur que cette Belgique m’a vu vivre car le pire ici est surmontable.

Je vous ai donné ma force et ma jeunesse en guise d’affection ; je ne pouvais, je ne savais vous donnez plus que ce que je n’avais jamais reçu et je ne mesurais pas que c’est tout ce que vous attendiez. Un père affectueusement présent.

Tiens, une photo de ma femme, elle sourie pour rien même dans l’ultime nécessité. Nous savoir à l’abri et au chaud suffisait à l’apaiser.

Et toi Saïd …

Saïd, mon fils, la drogue t’as offert tout ce que tu ne pouvais trouver à la maison, pardonne-moi wouldi (mon fils), pardonne ton père de n’avoir su être là.

J’ai le chagrin de celui qui sait que ça ne sert plus à grand-chose, le chagrin de l’olivier centenaire assistant au balai des générations sous ses yeux et qui est pris d’affection pour tous ceux qui le quitteront un jour.

L’immigration est une chance à bien des égards mais demeure une déchirure dont la plaie reste ouverte sur plusieurs générations. L’immigré et sa descendance n’auront pas le luxe de sédentariser leur identité, ils devront conjugués avec et c’est tant mieux.

Tout ne va pas si mal tout compte fait.

Et toi qui écris ce texte, n’oublie jamais que rêver est la plus belle manière de vivre.

Je vous aime. »

-« On va s’arrêter là pour aujourd’hui » me dit la psy.

Je me lève, quitte le petit salon dans lequel elle reçoit, tiens on a même dépassé l’heure sans qu’elle ne me facture plus.

Peut être que la chance commence à tourner.

ob_0e6ba3_psy

Étiquettes
Partagez

Commentaires

madrane
Répondre

comment dire, c'est tellement important de vous lire...Comme une piqûre de rappel, un truc qu'on feint d'oublier mais qui ne nous a jamais quitté...Merde, ce genre de passage, quand vous parlez de votre père, de vos frères, des crises de nerfs et tout...Ca me fait à chaque fois le même effet, même à la relecture : je ris et je pleure, j'arrive pas à choisir, alors je fais tout en même temps...Là depuis quelques jours, mon beau-père, le papa de mon mari est très malade, il est au bled avec sa femme. C'est pas la mère de ses 13 enfants. C'est celle qu'il a épousé quand leur maman est décédé. Ils l'ont appelé madame X parce-qu'ils ne savent pas d'où elle sort ni qui elle est vraiment. C'est juste celle qui reçoit le RSA et qui fait à manger à leur père...Là, le vieux me fait trop pitié. Je voudrais qu'un de ses enfants, au moins un, aille le voir..Je sens que c'est la fin...Mais personne veut y aller, aucun des 13 enfants ! Ca me choque, mon mari est perdu...On est loin à 20000km...Je sais que on est condamné à une sorte d'ingratitude, on est pas préparé c'est tout...Qu'entre les parents et le reste, on choisit le reste parce-que on nous a appris qu'il y avait "parce-que" et "mais" et "je voudrais bien mais je peux point"...Merde, avant on était pas comme ça, on aurait tout fait pour nos vieux...Qu'est-ce qui nous arrive ?