Le grand Klezmer.

26 mars 2014

Le grand Klezmer.

ob_393104_renover-facade-maison-peinture-crepi

J’ai eu 58 ans et pour me redonner un coup de jouvence, je me suis fait promesse de repeindre la façade arrière de notre maison comme pour prouver à ma femme qu’il y a toujours de la ressource dans ce corps de méditerranéen.

Il fait beau et comme nous partageons tout, j’ai réveillé mon fils aux petites heures pour qu’il supporte les railleries d’un grincheux qui se donne l’illusion que la tâche l’enchante.

Il a 19 ans, l’âge bête qui peut se prolonger un bon moment chez les hommes si ’ils n’y prennent pas garde.

Nous l’avons prénommé Yuba, en hommage aux origines rifaines de mon regretté père qu’il n’a jamais connu.

Amale, ma fille, c’est la réussite par excellence, la perle de ma vie. Celle qui par sa seule présence efface tout et laisse place à l’allégresse.

Elle termine cette année ses études de droit international, parle couramment 4 langues et tient de son père assurément :).

Elle passera dans l’après-midi, il paraît qu’elle doit nous annoncer quelque chose de « grand ».

J’enfile mon short et mon Sweat pour faire jeune et dynamique, ce que je ne suis absolument pas et direction la cuisine où l’odeur du thé à la menthe me réconforte dans cette marocanité si chère à mes yeux et la voilà devant moi, ses cheveux d’or et ce regard qui perce, m’offrant ce qu’elle concède uniquement à celui qui a su entretenir notre flamme durant toutes ces années… Ce sourire ! Je peux me vautrer dans la prétention de temps à autre, ça me fait du bien et puis j’écris ce que je veux … 🙂

Ma femme … Notre histoire mériterait à elle seule 100 textes, tant elle fut et demeure une route où nous nous sommes aimés et aimons toujours un peu plus, même nos périodes de crises puent l’amour à crever.

-Ma femme : « Alors les hommes, il est déjà 9H et je ne sens toujours pas l’odeur de l’acrylique et Hiya Rjel (A ces hommes).

-Moi : « Tu ne sens toujours pas l’acrylique, mais moi je sens que j’ai de la peinture à l’huile sous pression à extraire … 😉 »

Oui je sais, c’est lourd mais ça marche.

Elle me regarde comme pour me dire que c’est une riche idée mais que le castard risque de débarquer d’une minute à l’autre.

-Moi : « Laisse Hbiba (Chérie), après la peinture je te fais une livraison :). »

-Ma femme : « d’accord mon bébé ».

– Moi : « Tarma dielli (mon petit cul à moi) ».

Ah, te voilà enfin, yallah rejoins-moi dès que tu termines ton petit déjeuner, je vais déjà installer le petit échafaud.

-Moi : « Chérie, je vais prendre la petite théière avec moi au jardin ».

Et me voilà, devant ce mur à repeindre, ce putain de mur à repeindre , ce putain de putain de mur à repeindre.

-Ma femme depuis la cuisine : « Chéri tu veux du miel avec tes Baghrires (Crèpes marocaines) ».

-Moi « Oui ,merci ».

Ce putain de mur, pourquoi j’ai proposé de faire ça aujourd’hui … Ah oui je voulais que les deux femmes de ma vie soient fieres de moi.

-Moi : « Yuba, on commence par le haut du mur, fiston ? ».

-Yuba : « Papa, c’est plus simple par en-bas ».

-Moi : « Et hiyaaa, t’es bien le fils de ton père, partisan du moindre effort ».

-Moi : « Ok, on commence par le bas et ramène nous un peu de musique ».

-Yuba : « D’accord papa , mais on met pas tes trucs du Maroc ».

-Moi : « On met ce que papa veut écouter et quand on aura terminé tu mettras ta musique ».

« T’es toujours aussi enfoiré toi … »

-Moi : « Ah te revoilà, toi. Mon identité chérie que j’aime et que je déteste à la fois »

-Mon identité : « Alors, premièrement tu imposes à ton fils de t’aider pour un travail que tu as proposé de faire et en plus tu lui imposes ta musique à écouter, mais t’es un vrai dictateur ».

-Moi : « Oui, c’est vrai … Je vais régler ça en 2 secondes ».

-Moi : « Yuba …. Yuba ».

-Yuba : « Oui Ba ».

-Moi : « Ramène de la musique et file je m’occupe de faire le reste ».

-Yuba : « T’es sur Ba ? ».

-Moi : « Oui fiston, il fait beau t’as pas une copine à aller voir Awla ? »

– Yuba : « Non, je vais plutôt m’entrainer avec la voiture pour le permis de conduire ».

-Moi : « C’est ça file, elles viendront plus facilement avec une voiture … »

Et il s’en est allé, me laissant seul avec mon identité et le mur à peindre.

– Moi : « C’est bizarre mais je le vois jamais avec des filles lui, je vais en parler à sa mère ».

-Mon identité : « Pourquoi, qu’est-ce qui te fait peur ? »

-Moi : » Rien … »

-I : « T’es sur ? »

-M : « Certain même. »

-I : « Et si il est gay ton fils ?? »

-M : « Ah ben ça … »

-I : « Ah ben quoi ? »

-M : «Ah ben il l’est peut être. »

-I : « Arrête je vois bien que ça t’emmerde ».

-M : « Au lieu de dire tes âneries, viens plutôt m’aider. »

-I : « Tu sais bien que je ne peux pas, je suis imaginaire … »

-M : « Alors aide moi en me parlant de truc gai … Enfin marrant quoi on s’est compris. »

-I : « Et comment va la belle Amale ? »

-M : « Elle viendra cette après-midi et je veux qu’elle soit fière de son père ».

-I : « Elle le sera, fais- moi confiance ».

-M : « Pourquoi tu dis ça ? »

-I : « Tu verras, je te laisse. Bon boulot ! »

Je me suis donc attaqué au mur et en 2H de temps c’était réglé. Pour faire dans l’impeccable, c’est ma femme qui a choisi la couleur et j’avoue qu’elle s’y connait, le résultat est parfait.

-Ma femme : « Waw, mon homme à moi ! »

Voilà comment remonter dans l’estime de sa douce Messieurs.

-Ma femme : C’est magnifique

-Moi : « Ça te plait ? »

-Ma femme : « C’est toi qui me plait bébé. »

On sonne à la porte, ça doit être ma fille chérie.

-Amale : « Papa chéri,c’est mon papa à moi . »

-Moi :  » Aji 3and Baba (Viens là chez papa) ».

C’est curieux mais je lui parle souvent en arabe elle, va falloir que j’explique ça à mon identité, elle a des réponses à tout.

Amale : « Waw papa c’est toi qui a repeint ça ? »

-Moi : « Oui ma grande. »

-Amale : « Seul, yuba ne t’a pas aidé? »

-Moi : « Oui tout seul ! »

-Amale : « Viens là je te fais une grosse Boussaaaa ».

Je suis monté me doucher et j’ai mis ma chemise du papa cool, celle avec les palmiers à la Miami Vice. Elle est bien large et cache la petite bedaine de celui qui ne se refuse rien.

Ça sent le repas, du poisson et comme il fait beau, ma femme a sorti la table au jardin pour qu’elle puisse tout en mangeant complimenter sa moitié en contemplant le beau mur fraichement repeint. Ça va être une après- midi superbe !

Yuba est revenu, le repas est lancé et ma fille m’a ramené une belle bouteille de vin.

-Amale : « Tiens papa, je sais que tu préfères le rouge mais j’ai pris du rosé vu la belle météo ».

-Moi : « Les Celliers de Meknes …Excellent choix ma grande ! ».

Oui, il m’arrive de boire du vin et mes enfants le savent. J’ai toujours préféré à l’hypocrisie sociale, la candeur de vie.

Nous voilà donc à quatre réunis autour de cette table chaleureusement achalandée par les soins de ma femme.

-Amale : « Papa . »

-Moi : « Dis-moi ma fille. »

-Amale : « Je dois t’annoncer une grande nouvelle. »

-Moi : « Ahh, enfin. D’autant que j’ai le sentiment qu’autour de cette table je suis le seul à l’ignorer n’est-ce pas ? »

Ma femme : » Oui c’est vrai. »

Moi : « Même toi fiston, hein? »

Yuba ne répond pas. Il est bizarre depuis un petit moment d’ailleurs…

-Moi : « Wa 9olli A benti ? (Dis-moi ma fille ?)

Elle regarda sa mère qui fit signe que c’est le bon moment.

C’est à ce moment-là que je compris qu’il y a comme quelque chose de troublant qui se trame autour de moi. Je me sens comme gentiment dupé. Pourtant, je pense être un papa cool, j’ai la chemise à palmier, je bois du vin, mes enfants ont grandi sans contraintes… Qu’est- ce que j’ai loupé ? A côté de quoi suis-je passé ?

Dans ces états de panique je sollicite mon identité chérie.

-Moi à mon identité : « Alors, que se passe-t-il autour de cette table ? »

« Ecoute-moi bien » me dit-elle.

-Moi : « Je suis ultra-concentré comme tu le vois. »

-I : « Quoiqu’elle te dise, promets moi juste d’être à la hauteur. »

-Moi : Qu’est-ce que tu me fais là, qu’est-ce que vous me faites là … ?

-I : « J’ai dit promet moi juste d’être à la hauteur ! »

-Moi : « …OUI ! »

-I : « Tu me le promets vraiment ? »

-Moi : « Oui, oui tu me connais quand je dis oui c’est oui ! »

I : « C’est parce que je te connais que j’insiste. »

-Moi : « Amale, tu peux tout dire à papa. »

-Amale : » Voilà papa, j’ai quelqu’un dans ma vie « .

-Moi : « Mais c’est magnifique, ça fait longtemps, pourquoi nous ne l’avons jamais rencontré,… Où est-il ? … Il est là ? »

-Amale : « Oui papa il vient d’arriver. »

-Moi : « Et wa jibou y tghada m3ana. ( Dis lui de venir manger avec nous.)

Elle regarda sa mère encore une fois qui acquiesça.

Amale se rendit à la porte. Pendant ce temps, alors que Yuba me servit un grand verre , je dis à ma femme .

« Mais qu’est-ce qui se passe ? »

Elle me regarda avec ce regard de celle qui est face à l’inconnu, celle qui ne maitrise pas la réaction à venir. De celle qui espère ne pas s’être trompée sur l’homme qu’elle a épousé.

-Amale : « Papa »

-Moi : « Oui »

C’est alors que je le vis enfin. Il est grand, trop grand même pour être de chez nous …

-Amale : « Papa, je te présente Cohen Rosenberg ».

ob_d9ca44_index

La suite la prochaine fois

Étiquettes
Partagez

Commentaires