J’ai rechaussé mes ADIDAS depuis et il n’y a plus « d’autres ».

26 mars 2014

J’ai rechaussé mes ADIDAS depuis et il n’y a plus « d’autres ».

ob_91d7b5_il-570xn-484275721-3kb7Ma soeur est en colère, elle pleure car le poste convoité était en deçà ses compétences et malgré cela il lui a été refusé.

« Suite à un examen attentif de votre dossier nous sommes au regret de vous annoncer que nous ne pouvons donner une suite favorable à votre candidature.

Nous avons examiné attentivement votre dossier, bien que celui-ci réponde aux exigences de l’employeur nous avons porté notre choix sur un collaborateur dont le profil nous semble plus opportun. »

C’est qui, qui a pondu le premier ce genre de tournure de phrase ?

De cette forme d’hypocrisie est née la « réponse type », celle qu’on vous balance, sourire aux lèvres et dont l’intention implicite est qu’on aimerait se débarrasser de vous à moindre coût.

Il est 15h je suis adolescent et j’ai rendez-vous à la salle de mini-foot, on joue contre un club flamand de Boutersem et on est chaud.

Je vais me venger sur le terrain.

Notre équipe était composée majoritairement de Khoroto (belges d’origine marocaine) ou d’enfants d’immigrés d’ailleurs et chaque match de football ou de mini-foot ne se limitait pas simplement à une compétition sportive, c’était plus que ça, nous marquions avec nos « ADIDAS SAMBA » un acte politique d’affirmation de soi.

Sur le terrain, on ne pouvait s’autoriser une erreur car l’idée de la défaite nous plongeait encore plus dans ce sentiment de dominé face aux « autres ».

Oui, car nous c’était nous et eux, ben c’était « les autres » …

En revanche, chaque victoire était diablement savourée, nous sommes là et avions bien l’intention de le faire savoir.

Jusqu’au jour où des hommes, sont venus nous dire que le chemin de leur mosquée était plus court que celui du terrain de foot.

J’ai rangé mes ADIDAS et perdu quelques amis.

Au soir, on parle encore de nous au Journal Télé. Depuis quelques jours les quartiers populaires connaissent des troubles depuis le parvis St Jean Baptiste à Molenbeek-St-Jean.

Un énième contrôle d’identité tourne au vinaigre et la jeunesse d’origine marocaine réplique.

Des émeutes ont lieu dans plusieurs communes de la capitale et le politique prend enfin conscience que la 2ème génération a de fortes chances de rester en Belgique.

Je ne suis pas d’une humeur violente, mais je suis sorti avec mes amis brandir ma carte d’identité jaune (Carte réservée aux belges d’origines marocaines et turques, les espagnols possédaient une bleue et les italiens avaient une autre couleur dont je ne me souviens plus) pour crier mon indignation.

We zijn belgie, nous sommes belges les amis.

J’ai vu des cocktails Molotov, des charges policières matraques et boucliers à la main, des maisons barricadées, des parents dépassés et des jeunes accrochés à leur seul et unique certitude : leur identité.

J’ai vu un souffle spontané d’une génération à la recherche de leaders propres et intègres.

Le mouvement dura une grosse semaine et les conséquences auraient pu, me semble-t-il nous être plus favorables si nous étions plus encadrés, plus conscients aussi.Ce que nous souhaitions vraiment, c’était juste être pareil à nos semblables, vous savez ceux que nous considérions être comme « les autres ».

Comme derrière tous les mouvements de foule, il y a souvent en embuscade, prêt à bondir pour récupérer cette énergie disparate : La religion, la politique ou la religion au service du politique.

En bouquinant sur l’histoire de notre immigration, en discutant avec des acteurs de cette histoire j’ai mesuré l’ampleur de l’arnaque.

Arnaque dont les conséquences pourraient se traduire aujourd’hui par les expressions suivantes : Le vote ethnique (qui peut être débattu, j’en conviens) et la visibilité politique et médiatique d’une certaine minorité .

Bref comme dirait le briscard du boui boui d’en face « du persil sur le steak ».

Je me suis replongé dans ma mémoire de bambin et me suis souvenu d’une soirée à l’ULB aux allures un peu clandestine d’un comité à l’écart du système. La salle était pleine à craquer.

C’était des marocains qui organisaient à leur manière l’immigration à travers la culture et le savoir et dénonçaient le régime marocain emmené par Hassan 2 durant les années de plombs.

Ils parlaient avec dignité de nous et de notre avenir, ils préparaient notre élite, notre « inteligencia ».

Il y avait des familles, des jeunes khorotos aux allures de rockeurs du thé et de la bière.

Il y avait aussi des groupes de musique qui chantaient la nostalgie du soleil et l’amour du surréalisme.

Il se passait quelque chose, j’en suis sûr mais quoi, je peine encore à le cerner.

Mes amis aussi y étaient, dont certains étaient des royalistes par tradition, d’autres des amazighs au sens étymologique du terme (des hommes libres).

On passait de l’aliénation à la révolution.

Pour harmoniser cette bouillabaisse marocaine, la Belgique a pu compter sur l’aide et le renfort des mosquées tenues par les mêmes hommes qui m’ont éloigné de mes ADIDAS.

Certaines de ces mosquées servaient souvent de relais au régime marocain.

De la religion au service du pouvoir, l’histoire se réécrit sans cesse sans tirer les leçons du passé.

Ils nous ont eus et plus encore.

Ces mosquées pouvaient à leur tour aussi compter sur le soutien indéfectible des politiques belges qui comprirent très vite qu’il y avait là un nid potentiel d’électeurs. Ces politiques ont pris conscience qu’en plus d’être « de gentils bosseurs », les marocains sont des industries à bambins qui seront les votants de demain. L’amorce des fondements du vote ethnique en Belgique, peut être ?

Face au pouvoir d’un divin au service de … les précurseurs d’une élite en devenir n’ont pas fait le poids.

Nous sommes orphelins des soirées de l’ULB.

Aujourd’hui, certains de ces orphelins, vivent un imaginaire sublimé aux antipodes d’une réalité. Dans cet imaginaire Karl Marx et Nietzsche donnaient la messe à des brebis libertaires post 68.

A choisir, j’aurai été l’une d’entre- elles.

La transition à bel et bien eu lieu, nous sommes passés d’un collectivisme « conscientisant » à un individualisme exacerbé, vide de sens aux référents plus saugrenus qu’improbables.

De Brel, Moustaki , Brassens, Lemchaheb, Ghiwane à Sharia For Belgium … Waw !! Et le tout en moins de 40 ans ! Il n’en faut pas plus me diriez-vous.

En février prochain, nous commémorons les 50 ans de présence marocaine en Belgique, l’heure est idéale pour faire un bilan décomplexé avec ceux qui ont cru, avec ceux qui sont déçus et avec ceux qui savaient.

Débattre enfin sur les toutes les affaires : Rapts parentaux, le statut des binationaux, l’affaire Arrass, la double peine etc, cela pourrait franchement aider à clarifier cette psychose identitaire.

Et comme on balance entre ce refus constant du politique belge d’agir là où pourtant il se targue d’être d’une clarté irréprochable et l’ infatigable volonté du régime marocain à vouloir nous asservir et abrutir craignant qu’une conscience venue du nord ne déstabilise encore plus un régime vacillant. On s’éternise dans ce flou gaussien .C’est ça aussi avoir le cul entre deux chaises.

J’ai rechaussé mes ADIDAS depuis et il n’y a plus « d’autres ».

Aujourd’hui nous ne pouvons plus nous interroger sur ce que nous sommes, car Nous sommes !

Nous devrions plutôt nous interroger sur ce qu’ils étaient et pourquoi « sont-ils devenus » ?

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