Blondin, qu’est ce que tu as fait …(1ère partie)

26 mars 2014

Blondin, qu’est ce que tu as fait …(1ère partie)

 

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Moulana N’ss3a w Ridda9 , Wa3la Bab Wa9ifine …

… Ya Ar7ame Ra7imine … (chant funèbre marocain)

Ce mardi 29 juin à 11h, Saïd mon frère est mort d’une overdose d’héroïne seul dans sa chambre.

Ce mardi 29 juin marqua un tournant décisif, ma vie sera peut-être merdique, mais elle sera sainement merdique.

Tout commença par un cri jusqu’ici encore jamais entendu, celui de ma mère qui s’arrachait les cheveux en descendant les escaliers .Puis mes sœurs et mon père et nous voilà, à 6 autour de ce corps encore tiède, regard crispé qui fixait le plafond.

Ma mère entonnait une sorte de chant funèbre, ou les paroles semblaient improvisées sur le moment et ponctuait chaque couplets par des :

« Ya wlidi , Wa Wlidi, wa Wlidi » (Mon fils , mon fils …)

Mon père répétait sans cesse :

« Inalillah wa ina ilayhi raji3oune » (A Dieu nous sommes et à Dieu nous revenons) qu’il accompagnait de versets coraniques.

Mes sœurs en pleurs, moi pétrifié et mon tout grand frère (Mohamed) coucher au sol, à côté du corps de Saïd, le serrant contre lui et lui disant dans le creux de l’oreille :

« Mais qu’es ce que t’as fait blondin, mais qu’es ce que t’as fait Saïd … » (blondin était le surnom de Saïd car il était le plus clair d’entre-nous, ses cheveux devenait blond au soleil. « Blondin » c’était aussi le nom de le Clint Eastwood dans le bon la brute et le truand, mes frères étaient de vrais fans de ce film).

Je ne sais pas combien de temps cela a durer, je ne sais pas à quelle heure exactement les premiers voisins arrivèrent pour les condoléances, je ne sais pas à quelle heure ni qui de Kenza ou Nabila (mes deux sœurs) ont prévenu l’ambulance.

Je sais que mon frère est mort, et que nous sommes tous les six réunis autour de sa dépouille le pleurant à cœur ouvert.

Ma sœur Kenza me prend dans ses bras, je me serre contre elle, mais je suis incapable d’expulser le moindre mot.

Mon père nous regarde, avec ce regard qui ne le quittera plus jamais, celui d’un homme sur le point d’enterrer son fils.

Ce mardi 29 juin mon frère est mort et je ne sais rien dire, ni rien faire …

Je m’approche du corps avec une émotion qui me noue la gorge, me glace le sang. Mon père me tient l’épaule, on s’abaisse à deux …

« Saïd … Saïd … Saïd, qu’es ce que t’as fait ? » lui dis-je.

Je fixe son visage et le temps semble s’être arrêté. Je crie au fond de moi-même, je crie de rage et de colère, j’en veux à tout le monde !

Je lui en veux, j’en veux à mon père avec lequel ses relations étaient au point mort, j’en veux à mon frère de l’avoir laissé seul, je m’en veux de ne pas être passé dans sa chambre, je nous en veux à tous et pour la première fois j’en veux à Dieu en lui exprimant ma colère face à ce rappel prématuré !

On sonne à la porte, des femmes en blanc pleurent, la nouvelle s’est répandue très vite.

La cuisine est prise en main par les mères du voisinage.

Ma mère fait syncope sur syncope et est entourée par mes 2 sœurs, mon frère et mon père ont disparu.

Moi je suis seul, entouré mais seul, mes amis du quartier, les Suarez, les algériens, toute la rue est là puis arrivent, les tantes et oncles, les cousins et cousines.

J’ai froid, pourtant il fait chaud, j’ai soif non faim, en fait je veux dormir.

A partir de là je ne me souviens plus.

Quelques heures plus tard mon père et mon frère débarquent à la maison le visage froid, le visage de l’insensible trop préoccupés pour se laisser submerger par l’émotion.

Ils viennent de régler l’administratif, on décolle dans 2 jours pour rapatrier le corps à Tanger.

Le soir, nous nous rendons tous à la Mosquée, je prie mais je suis toujours en colère contre Dieu et dans ma prière, je Lui parle et après ma prière je Lui parle encore et encore mais rien n’y fait,Il n’arrive pas à me consoler.

Passant de la colère à la tristesse de l’incompréhension à un fatalisme relatif, je suis épuisé, excusez-moi je dois dormir.

Le lendemain matin au réveil, durant 1 seconde qui m’a paru une éternité, je croyais ferme que tout ça n’était qu’un mauvais rêve … Puis, réalisant que c’est bien vrai, c’est un nouveau choc qui vous revient en pleine tronche.

Je ne souhaite qu’une seule chose, c’est me rendormir, pour fuir à plus tard.

Je me réveille et descends, la maison est pleine des tantes, des oncles des amis pleurent, m’embrassent, je file à la cuisine, les femmes n’ont pas dormi. Elles ont cuisiné toute la nuit avec ma mère.

La période funèbre chez nous s’étale sur 40 jours, durant lesquels les gens viennent adresser leurs condoléances .Même dans cette tragique événement, ma mère voulait faire et faire encore plus, pour ne pas qu’on dise ceci ou cela.

Il faut c’est comme ça, il faut faire car la maison ne désemplit pas.

Les « 9alb Sukar » (Sucre en gros morceaux), les bottes de menthe et autres condiments que l’on apporte traditionnellement à ces tristes occasions remplissent le couloir d’entrée.

Je dois voir mon père, ou est-il ?

Le voilà, devant la porte.

« A Ba yalla n’tmechaw chwiya » (Papa, viens faire un petit tour)

« Wakha,Yalla Wouldi » (D’accord, allons-y mon fils)

On se mit à marcher dans un silence « particulièrement bavard »… Durant cette marche pas un mot, pas un seul, ne sortis de nos bouches. On marchait, il fait chaud , je n’osais pas le regarder. On marchait et on se parlait la bouche fermée.

J’en ai eu la certitude, lorsque de retour à la maison, il ouvrit la porte me regarda dans les yeux et eut ce léger sourire. Je compris que l’on s’était compris, ce fut la discussion la plus intense de ma vie.

Qu’est ce qu’on s’est dit…? Beaucoup, beaucoup de choses …

Tout ce que je peux vous dire, c’est que ce jour-là j’ai ressenti l’essence de la sensibilité de mon père.

« Mon père cet artiste. »

Ma mère était trop prise par les lourdes taches « qu’elle s’auto-infligeait. »

« Yema … »(Maman)

« A wouldi … Fik Jou3 »(Oui , mon fils… tu as faim)

“La a yema” (Non maman)

“ Mchi t’rte7 chtito , ghada …( Va te reposer demain nous …)

« La a yema chouffi fiya » (Non maman regarde- moi)

« khalini fi had se3a, a wouldi » (laisse-moi pour le moment, mon fils)

Hermétique ou trop à fleur de peau, je ne voulais pas fuir ce que je considérais comme être essentiel, voir vital pour entamer notre deuil familial. Je voulais donner et recevoir des marques d’amour.

Ma sœur Kenza, assista du coin de l’œil à cet échange avec ma mère, elle s’approcha de moi avec l’assurance de celle qui a tout saisi et qui me sentais un peu perdu avec ma propre mère. Elle me prit moi et ma mère dans ses bras .Ma mère s’effondra sans pleurer dans nos bras, elle rendait les armes, lâchait prise … Ma grande sœur Nabila nous rejoint. Que ça fait du bien !

Nous étions à quatre et nous entamions notre deuil :

« Allah y Ghatikoum Bel Rda, ya wouladi » (que Dieu vous bénisse mes enfants)

“Ou ntina, ila chouftek kat 7adi had l’moussiba ….!!” (Et toi (en s’adressant à moi) si je te vois toucher à cette saloperie….)

“Safi yema, safi yema” (C’est bon maman (ne t’inquiète pas))

C’est là qu’avec certitude, je puis vous assurer que mes parents comprenaient parfaitement, que mon frère décédé se droguait et que c’est l’overdose d’héroïne qui a eu raison de lui.

Pour les gens du voisinage qui le savaient pertinemment par contre, mon frère est mort d’une crise cardiaque … C’était comme ça, il y a des choses que tout le monde sait mais feint d’ignorer…

Pourquoi, cette overdose ?

Pourquoi ce mal-être ?

Pourquoi la drogue ?

Quelques années plus tard je me suis construit une explication.

Ça n’est pas l’explication, c’est simplement mon explication que je vous livrerai dans un prochain papier.

Il est tard, je monte dans ma chambre, je m’adresse encore une fois à Dieu en lui disant que là ou il avait failli mon père,ma mère, mes sœurs et mon frère avaient réussi.

Notre deuil familial pouvait se faire, mais pour moi ça sera sans lui.

Je m’endors, car demain on part tôt au Maroc pour le dernier voyage de Saïd.

 

« marhbabikoum fi matar Tanger Boukhalef »

(Bienvenue à l’aéroport Tanger Boukhalef)

Fin 1ère partie

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